Aldara avait dormi à la forge, incapable de rentrer chez elle, écrasée par le doute, la peur et l'absence. Elle avait noyé son inquiétude dans le travail: une hache était presque terminée; elle avait martelé le fer toute la nuit, de toutes ses forces, pour se faire mal, réveiller son bras meurtri, oublier. Elle avait ensuite rangé la forge, déjà fort bien organisée.
Nettoyer les outils, pour ne plus penser.
Ranger le fer, le bois, pour occuper l'espace et le temps.
Entretenir le brasier, pour espérer.
...
Elle jetait un œil, souvent, à la petite fleur rouge, posée sur l'enclume; il ne fallait pas qu'elle flétrisse. Elle voulait la mettre dans l'eau, mais la fleur était si belle ainsi, couchée sur l'enclume, éclairée par le feu rougeoyant de la forge... Et c'était toute l'ambigüité. L'abreuver, pour la faire tenir plus longtemps, mais la laisser s'affadir peu à peu? Ou bien la laisser là, face au feu, si belle mais si éphémère?...
Elle avait réussi à dormir quelques heures, toujours à l'affut d'un galop de cheval, du pas d'un coursier, d'un toc à la porte.
Le jour se leva sur une silhouette noire, roulée en boule, à même le sol, les doigts serrés sur une petite rose rouge...