Alors que cette nuit-là, encore, ils s'étaient aimés...
Elle avait eu des nouvelles d'Apolonie. Endeuillée. Triste. Elle voulait serrer sa Rouge dans ses bras... Aldara n'avait alors pas réfléchi plus longtemps. Elle devait aller voir son amie, sa bleue princesse. Alors elle avait exposé son projet à Crategos, persuadée qu'il comprendrait. Elle se trompait, indubitablement. Voilà que le Sieur menaçait de se laisser mourir, si elle faisait un pas de plus. Voilà qu'il disait que la semaine à venir était vitale pour leur Amour. Voilà qu'il mettait dans la confidence Jo, et même le Maire! Voilà qu'il la séquestrait!!!!
Elle n'en revenait pas. Du chantage. Il sous-entendait peut-être qu'elle ne l'aimait pas assez pour rester auprès de lui. Mettait-il dans la balance son amour pour lui et son attachement pour Apolonie? Serait-il jaloux des autres hommes, soit, mais aussi des femmes qui habitaient le coeur de sa Douce?
Et puis le Bougre! il tenait bon! Impossible de lui arracher un mot sur le pourquoi de cet emprisonnement affecteux certes, mais emprissonnement tout de même!
Elle n'avait pas eu d'autre choix que de se résigner. Elle ne saurait donc rien et resterait là, cloitrée, comme à Noirlac. Et bien quitte à être cloitrée, autant l'être jusqu'au bout! Ainsi, proposa-t-elle qu'il mettent leurs corps au repos, pour mieux se retrouver pensait-elle. Et puis surtout pour s'attiser, se languir, se dévorer des yeux en se mordant la lèvre... Pensait-elle...
Elle croyait que son corps manquerait à son Amant. Que son odeur sucrée serait un supplice pour ses papilles privées. Que sa peau blanche aiguiserait ses dents voraces. Que sa douceur de coton affolerait ses mains fébriles. Et pourtant non. Les jours passaient, il ne semblait même plus la voir. Elle le frôlait, il s'en moquait. Elle le regardait, il détournait les yeux. Elle se faisait même courtiser, il n'en avait cure...
Il avait regagné son moulin, dormant sans doute sous un duvet de farine. Elle l'avait encouragé à le faire; rien ne servait en effet de dormir sous le même toit puisqu'ils ne pouvaient se toucher. Attiser oui, pas torturer...
Ses affaires étaient toujours là, posées sur une chaise, dans leur chambre. Un mantel, une paire de bottes, une chemise froissée.
Elle prit cette dernière pour la porter à son nez, emplit son âme de son odeur forte, puissante, violente presque, comme il savait l'être parfois. Elle hésitait à la laver, craignant d'être ensuite en manque. Elle n'imaginait pas humer les bottes quand même... Restait le mantel. Elle se résigna à laver la chemise, dans un soupir, la plia et la recouvrit de papier pour la protéger. N'osant aller jusqu'à son moulin, elle déposa le petit paquet devant la porte de la Rouge Maison avec un petit mot sur le dessus: "Le mantel et les bottes sont au pied du lit, si tu veux les récupérer sans me croiser, je comprendrais. Je reste donc à la forge jusqu'à la nuit tombée..."
Elle partit donc, tête basse, le coeur dolent, sentant déjà le froid la piquer de l'intérieur...